Obsolescence, prix, manque d’infos : pourquoi n’a-t-on pas plus recours à la réparation ?

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J’ai appris assez tôt que je devais prendre soin de mes affaires pour les faire durer le plus longtemps possible et que face à un pépin, les objets pouvaient être réparés. J’ai encore cette peluche en toile de parachute que je promenais absolument partout dans mon enfance et que ma grand-mère m’a appris à recoudre quand je la déchirais par mégarde. J’ai essayé tant bien que mal de garder ce réflexe mais force est de constater que ce n’est pas un franc succès. Et je ne suis pas la seule. On estime que seulement 36% des Français réparent ou font réparer leurs objets. Pourtant, les avantages de la réparation ne sont plus à démontrer : réduction des déchets, de l’exploitation des ressources, développement de l’économie locale, avantages économiques, etc. Alors, pourquoi malgré tous ses avantages, sommes-nous encore plus nombreux à choisir le remplacement d’un objet à sa réparation ?

La réparation coûte trop cher

Si la bonne volonté est souvent présente au moment où nous devrions faire réparer un produit, notre pouvoir d’achat se rappelle souvent à nous. Ainsi, le prix de la réparation en est le principal obstacle pour 68% des Français. Et quand bien même la réparation coûterait moins cher que le remplacement de l’objet, on estime qu’il y a un frein psychologique quand son prix excède les 33% de l’objet neuf. 

Certains objets bénéficient donc, de ce fait, plus souvent d’une réparation en cas de panne que d’autres, grâce à leur valeur d’achat plus élevée. Du côté des équipements électriques et électroniques (DEEE), ce sont les smartphones et les ordinateurs qui sont le plus souvent réparés. Pour cette filière, 13% des pannes proviennent de l’un de ces produits. Dans le même temps, ils bénéficient de 36% des réparations. Au contraire, les petits équipements électroménagers qui représentent 60% des pannes de la filière ne reçoivent que 28% des réparations effectuées chez un professionnel. 

Concernant les textiles, 70% des réparations effectuées par des professionnels ne concernent que 4 catégories de produits : les pantalons, les vestes/blousons, les manteaux et les robes/jupes. Cependant, l’auto réparation est plus courante et 78% des personnes réparent eux-mêmes. 

Types de vêtements les plus réparés (Source : ADEME)

Mon produit est obsolète

L’obsolescence actuelle ou proche de nos produits impacte fortement leurs remplacements. Le consommateur fait délibérément le choix de ne pas réparer un produit défectueux, même si le prix est avantageux, par besoin ou envie d’un modèle plus récent pour diverses raisons. 

Une typologie d’obsolescence frappant énormément les smartphones et ordinateurs est l’obsolescence logicielle. J’ai moi-même déjà remplacé des équipements encore fonctionnels ou réparables pour cette raison. Il s’agit du moment où les mises à jour ne sont plus compatibles avec des produits trop anciens. Parfois, le consommateur peut avoir besoin des dernières mises à jour d’un logiciel, pour son travail par exemple. Dans d’autres cas, il s’agit simplement d’une envie d’être à la page sur les dernières sorties, ou de pouvoir continuer à jouer à son jeu préféré. 

Plus insidieuse, l’obsolescence culturelle est de plus en plus présente dans notre société. Pour suivre un effet de mode, on remplace un produit par un neuf au design plus récent. Ce phénomène est particulièrement répandu sur les produits textiles et sur les équipements électroniques. 

Enfin, l’obsolescence technique peut également être la cause du remplacement d’un équipement défectueux au détriment de la réparation. Dans ce cas, le consommateur n’a en général malheureusement pas le choix. Les pièces nécessaires à la réparation de son produit ne sont plus disponibles à la vente, il n’a pas d’autre possibilité que d’acheter un équipement neuf. D’autres fois, le produit n’est pas démontable et donc impossible à réparer. 

Manque de formation

Un grand nombre de réparations ne sont pas effectuées par manque d’informations ou par désinformation du consommateur. D’autres fois, il est imaginé à tort qu’un article n’est pas réparable ou que la réparation pourrait être disgracieuse. Pour les articles textiles, un sondage de 2021 révèle que 22% des personnes interrogées ne savent pas que les ateliers de retouches font également de la réparation. Plus frappant encore, 22% ne pensent même pas à la réparation lorsque l’un de leur produit est abîmé, preuve que le travail de sensibilisation est capital sur cette thématique. 

Le problème de la formation est aussi présent du côté des professionnels de la réparation. Avec les différentes avancées technologiques, le besoin de qualification des réparateurs est de plus en plus grand. De manière plus générale, le manque de réparateurs est cruel dans certains domaines. Pour les chaussures par exemple, on ne compte en moyenne que 6 établissements pour 100 000 habitants à l’échelle nationale, avec une répartition inégalitaire et une présence très faible dans les départements de l’Est, du Nord et dans les DOM. Ces métiers ne sont plus attrayants et majoritairement occupés par une population approchant de l’âge de la retraite, diminuant toujours plus le nombre de réparateurs chaque année. 


Les leviers possibles pour la réparation

A la lumière des différents freins observés, quelles sont donc les solutions déjà en place ou à envisager pour démocratiser la réparation ? 

Un premier axe capital est l’accès à l’information. En sensibilisant le consommateur et en l’informant du caractère réparable de son produit et de la proximité d’un artisan, les réparations pourraient voir leur nombre augmenter. Sur ces points, les initiatives sont nombreuses mais l’une des plus notables est l’obligation de faire figurer depuis 2021 un indice de réparabilité sur certaines catégories de produits électriques et électroniques. La Chambre de Métiers et d’Artisanat a également mis en place un annuaire complet des réparateurs ainsi que le label Répar’acteur pour aider les consommateurs en ayant besoin. Les artisans Répar’acteurs sont d’ailleurs tous répertoriés sur l’application MooM

Concernant le prix des réparations, des solutions sont en cours de déploiement. A l’instar de coup de pouce vélo, prime allant jusqu’à 50€ pour encourager la réparation, et au vu de son grand succès, d’autres aides se développent. Ainsi, un fond réparation est en cours de déploiement sur les DEEE et devrait être disponible pour faire baisser la facture des citoyens à l’automne. Cette solution est également à l’étude pour la filière textile. 

Côté formation des professionnels, les centres se multiplient et certaines entreprises n’hésitent pas à former directement les réparateurs comme Fnac-Darty et la start-up Murfy, spécialisée dans le reconditionnement des appareils électroménagers.

Enfin, pour lutter contre l’obsolescence, des structures s’élèvent pour mettre en lumière certaines pratiques malveillantes des marques, comme HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée). Elles se battent aussi pour faire évoluer les lois, sur la disponibilité des pièces d’usure par exemple. Le consommateur a également son rôle à jouer en se méfiant des effets de mode et en choisissant des designs intemporels. 

La réparation devient un service incontournable pour les marques et les metteurs en marché auront un rôle central dans la prise de conscience du consommateur. La réparation doit être pensée dès la conception du produit afin de la rendre la plus accessible possible, comme pour le cas du Fairphone. De plus, elle pourrait être un véritable levier de la transformation de leur business model si elle venait à se démocratiser en magasin grâce à des ateliers comme chez Decathlon ou Devianne. L’économie ne peut être vraiment circulaire que si l’ensemble de la chaîne de valeur ne s’empare du sujet. Alors, qu’est-ce qu’on attend pour réparer ? 

Sources : 

  • ADEME, In Extenso Innovation Croissance (Benoît TINETTI, Beatriz BERTHOUX, Arthur ROBIN, Nathan SETAYESH) et Mathieu HESTIN (expert indépendant). 2021. Fonds réparation de la filière des Equipements Electriques et Electroniques ménagers, étude préalable – Synthèse. 25 pages.  
  • ADEME, In Extenso Innovation Croissance (Véronique MONIER, Beatriz BERTHOUX, Marie PASQUIER) et AIR Coop (Benoit DANDINE). 2022. Fonds réemploi-réutilisation et réparation de la filière TLC Etude préalablel. 117 pages.
  • ADEME, HARRIS INTERACTIVE, 2020, Les Français et la réparation : Perceptions et pratiques – Edition 2019. Synthèse. 12 pages
  • ADEME, Moringa, Philgea, Gabrielle Trebesses, Marguerite Whitwham. 2018. Panorama de l’offre de réparation en France – Actualisation 2018. 167 pages.

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